Un très grand Alsacien, un ami de notre langue régionale vient de disparaître.

Pierre Meyer nous a quittés. Maire de Pulversheim, historiquement cité minière du bassin potassique, il avait en cette qualité été le quatrième d’Alsace et le troisième du Haut-Rhin à la fin octobre 1991 à créer dans l’école maternelle de sa commune une classe maternelle bilingue à parité horaire confiée à l’association ABCM.

Retour en arrière et évolution

Dans une vingtaine de communes plus de 500 familles avaient demandé que l’Académie de Strasbourg ouvre la voie bilingue à leurs enfants .Sans succès. L’administration scolaire de l’époque pour tous les motifs imaginables ou imaginaires refusait de créer des classes bilingues en Alsace, contrairement à ce qui se passait en Bretagne et Pays Basque. Seuls trois maires avaient précédemment, en septembre de la même année, osé prendre le risque de défier l’opposition des services de l’Etat en procédant à la création d’un enseignement bilingue associatif où la langue régionale d’Alsace sous sa forme standard et littéraire, le Hochdeutsch, retrouvait une place qu’elle n’aurait jamais dû perdre dans une république qui se montre aux yeux du monde comme celle des Droits de l’Homme.

La langue de son pays, de son territoire, de ses parents, grands-parents et ancêtres plus lointains est de toute évidence le premier de ces droits dans la plupart des grandes démocraties européennes. Pas en France et pourtant l’Alsace était la région qui avait durant de très nombreuses décennies le plus résisté aux tentatives jacobines d’éradiquer sa langue et sa culture au profit de la langue du Roi-Soleil, langue monarchique imposée à ses sujets et devenue par assimilation celle de la République une et indivisible.

Si Roger Winterhalter (Lutterbach), Jean-Barthélémy Thomann (Ingersheim) ont eu dans un premier temps ce courage, cette volonté et ont entraîné par leur force de conviction leurs équipes municipales, Adrien Zeller maire de Saverne avait déclaré par la suite, que s’il n’avait pas précédemment été ministre, il n’aurait pas pu résister aux fortes pressions institutionnelles qu’il a subi pour le pousser à renoncer à ce projet.

Tout près à Issenheim, ville natale de Pierre Meyer, François Hanser un autre grand Alsacien, très discret mais non moins courageux, et surtout clairvoyant, avait aussi en septembre 1991 créé, malgré l’opposition de sa hiérarchie, une classe bilingue à parité horaire en cours préparatoire dans le cadre de l’Institut Champagnat, une école catholique.

Pierre Meyer ne s’en laisse pas conter

Lorsque Pierre Meyer conçoit ce projet de classe bilingue alors que l’Inspection d’Académie du Haut-Rhin vient de décider de fermer la quatrième classe de maternelle en surchargeant en effectifs les trois autres. Il doit résister à des pressions considérables et totalement inhabituelles : opposition du représentant du recteur lors de la réunion d’information des familles, refus du sous-préfet d’autoriser comme le permet la législation, l’utilisation d’une salle pourtant totalement vacante de l’école durant le temps scolaire, manifestation publique des enseignants des écoles de Pulversheim et environs, grève des enseignants de l’école publique, communiqués de presse ou communications de membres de l’administration scolaire mettant en doute la qualification ou la moralité du personnel de la classe de la classe bilingue.

Plus tard, le Préfet fait un recours en annulation devant le tribunal administratif et celui-ci décide de suspendre la décision municipale d’accorder, après désaffectation de la salle du domaine public, à une association son utilisation durant le temps scolaire. Pierre Meyer tient bon avec le soutien sans faille des familles. La décision du tribunal ne pouvant sérieusement pour des raisons évidentes de bon sens s’appliquer avant la fin de l’année scolaire en cours, la scolarité continue jusqu’aux vacances d’été.

La presse nationale et des pays voisins s’empare du dossier. C’est à ce moment que Pierre Meyer déclare à un journaliste : « S’il le faut, j’irai en prison ». Le tribunal administratif va rendre sa décision définitive « au fond » en un délai record et totalement inhabituel de huit mois au mois d’août 1992.Une discussion s’ouvre durant l’été entre la commune et le recteur.

Un nouveau et sixième site bilingue associatif se crée à Willer dans le Sundgau. L’Académie de Strasbourg annonce enfin qu’elle va développer en maternelle, avec le soutien financier du Conseil général du Haut-Rhin des classes maternelles bilingues publiques à Pulversheim, Soultz, et Lutterbach, mais toutefois pas en école élémentaire où l’on en restera à une, deux ou trois heures d’allemand par semaine. Les deux enseignants de la classe associative sont ainsi repris par l’administration scolaire avec les fonds mis à disposition pas le Haut-Rhin.

Grâce à Pierre Meyer à son courage, sa clairvoyance et sa ténacité, une première étape extrêmement importante était franchie et plus rien dans nos écoles d’Alsace ne serait comme avant !

Patrick Kleinclaus

(1) Les intertitres sont de la rédaction

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