Philippe Mouraux au nom de Culture et Bilinguisme de Lorraine -Zweisprachig, unsere Zukunft met les points sur les i aux sujets des élections municipales et de la langue régionale in Deutschlothringen.
Les professions de foi bilingues constituent une possibilité offerte depuis 1920. Pratiquement tous les candidats aux élections présidentielles de 2007 avaient encore diffusé en Moselle germanophone et en Alsace une version en allemand standard de leur profession de foi. Céleste Lett, le député-maire de Sarreguemines, est désormais le seul à être fidèle à cet usage et a avoir diffusé une profession de foi bilingue recto-verso lors des législatives de 2012 puisque, depuis 2007, il n’est plus possible d’adresser deux professions de foi distinctes, l’une en français et l’autre en allemand standard, dans le cadre des dépenses prises en charge par l’État.
(L’association a publié un communiqué qui) indiquait clairement que c’est en l’allemand standard, la forme normée de la langue régionale, que la règlementation électorale permet de rédiger le recto de la profession de foi bilingue prise en charge par l’État. Il n’est pas certain que la commission de propagande validerait une profession de foi partiellement rédigée dans une forme dialectale.
Quelle est la langue régionale de Moselle germanophone ?
L’article 1er de la charte européenne des langues régionales et minoritaires dispose que «Par l'expression ‘langues régionales ou minoritaires’, on entend les langues pratiquées traditionnellement sur un territoire d'un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l'État; et différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet État.»
La langue pratiquée traditionnellement sur le territoire de la Moselle germanophone se compose de dialectes du Westmitteldeutsch et de l’Oberdeutsch qui forment un continuum dialectal et de l’allemand standard (ou littéraire) ainsi que, depuis peu, du luxembourgeois standard pour la région de Thionville.
Les Programmes de langues régionales pour l’école primaire publiés au Bulletin officiel de l’Éducation nationale prévoient que «La langue régionale existe en Alsace et en Moselle sous deux formes: les dialectes alémaniques et franciques parlés en Alsace et en Moselle, dialectes de l’allemand, d’une part, l’allemand standard d’autre part». Cette définition est correcte tant au regard de la dialectologie allemande que de l’histoire des pratiques linguistiques dans notre région. Elle est manifestement partagée par le député-maire de Sarreguemines qui a déclaré lors d’une interview accordée récemment à l’Ami-Hebdo : «ma langue maternelle, c’est l’allemand».
Outre le fait que l’allemand standard est indéniablement une composante de notre langue régionale au regard des usages linguistiques des cinq derniers siècles (et donc bien antérieurement à l’annexion prussienne comme le rappelle la première phrase de la pétition de 1869 des communes mosellanes à l’empereur Napoléon III: «Nous prenons la respectueuse liberté de porter devant votre Majesté nos humbles doléances au sujet du système de proscription, adopté dans nos écoles primaires, contre l'enseignement de l'allemand, notre langue maternelle»), l’utilisation du terme «Platt» (ou Lothringer Platt) n’est pas générale en Moselle. En effet, dans certaines parties, on désigne communément le dialecte par le terme «Ditsch » ou «Dèitsch». Le terme "Platt" est en outre inusité dans les villages du sud-est mosellan (vallée de la Zorn) dont le dialecte est de type alémanique alsacien.
Notre langue régionale se caractérise par une très grande diversité et, en dehors du luxembourgeois standard pour le dialecte du Pays thionvillois, il n’existe aucune autre forme normée que l’allemand standard. Or, on ne peut enseigner les disciplines non linguistiques à l’école que dans une langue normée. C’est pour cela que Basques et Bretons, par exemple, se sont résolus à faire au XXème siècle ce qui avait été fait près de cinq siècles plus tôt dans le monde germanophone: adopter un standard commun, parfois éloigné de certaines variantes dialectales, pour palier, dans le contexte formel et notamment l’enseignement, les difficultés inhérentes à la diversité dialectale.
En dépit du recours au Hochdeutsch, les dialectes allemands de Moselle se sont maintenus dans leur diversité jusqu’au 20 siècle mais ils ne se sont jamais autant appauvris que depuis que certains tentent de les couper de l’allemand standard et ils n’ont jamais été aussi peu transmis par la famille que depuis que certains les présentent comme une «langue francique» distincte de la langue allemande.
L’écrivain et poète André Weckmann (alsacien par son père et mosellan par sa mère) a bien résumé la situation:
«Certains ont pensé, dans les années d’après-guerre, que le dialecte pouvait se maintenir plus authentique et plus pur s’il était coupé de l’allemand. C’était une grave erreur, car c’était le confiner dans un passé rural et petit-bourgeois, c’était l’empêcher d’évoluer dans un environnement moderne. Des dialectes dévalorisés, un Hochdeutsch diabolisé, tout devenait possible.
(…) confrontée à la pression scolaire et socioculturelle de la langue française, l’expression orale dialectale, éclatée en de multiples variantes, ne peut résister à cette emprise sémantique et même sa structure syntaxique s’en trouve attaquée, minée et finalement détruite. Coupé de l’allemand commun, de son enseignement, de sa pratique ne fut-ce que par la lecture, le dialecte n’a aucune chance de survie. Car sa sève nourricière, il la tire de cet allemand littéraire qui a été pendant des siècles langue écrite des Alsaciens, mais aussi orale dans un certain nombre de domaines.
L’alsacien et l’allemand standard sont indéniablement deux expressions d’une même langue (…) La première est plutôt orale et non uniformisée, la seconde est langue officielle de référence à l’intérieur du domaine germanophone, Dachsprache, langue-toit des différents dialectes et langue de grande communication (…). La pratique d’un dialecte élaboré, aujourd’hui, n’est possible que si l’on a une connaissance approfondie de la langue standard. Et c’est grâce à elle que le dialecte a la possibilité de s’adapter à la vie moderne sans se dévoyer dans un code-switching ‘franco-alsaco’, un ‘Pidgin-Elsassisch qui est le dernier stade avant sa disparition définitive» («Langues d’Alsace», 2002)