Monsieur le Sénateur –Maire de Strasbourg
C'est avec intérêt que notre fédération d’associations pour la langue régionale d’Alsace et de Moselle a pris connaissance de l’article sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires dans les DNA du 19 août. Nous en attendons la ratification par la France depuis le gouvernement de Lionel Jospin en 1992.
Mais la République de François Hollande sera-t-elle capable de donner à nos langues et cultures régionales un espace ouvert suffisant pour leur pérennité, permettant ainsi un renouveau de dynamisme culturel et économique profitable à tout notre pays ? Il nous semble que trois années ont été volontairement perdues depuis avril 2012. Le gouvernement Valls est visiblement hostile aux identités et langues régionales et les différentes lois votées depuis n’ont guère développé le statut législatif des langues régionales. L’opinion la plus répandue est qu’il s’agit d’un artifice politicien à moins de deux ans du renouvellement des mandats présidentiel et des députés. Beaucoup d'associations y voient ainsi une manœuvre électorale.
Si la ratification représente un tout premier pas puisque le gouvernement n'a retenu que la moitié des engagements proposés par la Charte, dans notre pays hostile depuis plusieurs siècles à sa diversité linguistique, ce serait pourtant un pas très important pour toutes les langues régionales et plus de démocratie. Nous vous serions reconnaissants de soutenir cette démarche.
Nous souhaitons aussi vous faire part d'un autre regard sur l'affichage bilingue des rues et des entrées d'agglomération à Strasbourg. Autant il est vital pour une langue régionale de s'afficher dans l'espace public autant nous sommes surpris par la discrimination notoire que subit la forme écrite et standard de notre langue régionale. Ainsi, l'allemand standard et littéraire est quasiment absent.
En imposant le dialecte, la commune coupe les habitants de notre histoire et de notre culture. L'Alsace, tout particulièrement Strasbourg, est l’un des principaux berceaux de la langue commune aux dialectes germaniques, l'allemand standard et littéraire, Hochdeutsch, car les imprimeurs strasbourgeois et les premiers auteurs rhénans y ont participé dès l’origine. C’est à Strassburg que la première bible en allemand a été imprimée.
Aussi le cas de Strasbourg est tout particulièrement navrant. Avec « Strossburi » la municipalité dévalorise volontairement le nom de notre belle capitale européenne et régionale! C'est un message très négatif, peut-être même anti-allemand, qui est ainsi envoyé à nos partenaires de la construction européenne et, quelque part, un coup de frein réel à l'amitié franco-allemande. Un comble pour la capitale européenne choisie dans l’après-guerre par les alliés victorieux en raison de ses origines franco-allemandes.
Une vraie signalétique bilingue consiste en premier lieu à retenir le nom que les habitants avaient choisi il y a près de quinze siècles. Dès 596 ce nom apparait dans un texte de Saint Grégoire comme Strateburgum, puis au IXe siècle comme Strassburg dans tous les registres et textes officiels de la ville, de la Décapole, et de l’Empire. Cette appellation se retrouve en 1605 dans le tout premier quotidien connu, créé dans cette ville et édité tout naturellement en Hochdeutsch.
En outre les chansons populaires traditionnelles mentionnent Strassburg/ Straßburg. Nous joignons aussi les armes des grandes villes impériales en 1605 et 1632 : Strasburg y figure.
Strossburi au contraire ne figure dans aucun texte répertorié.
Et, en second lieu, la recherche d’une signalétique bilingue conduit à utiliser pour le français, langue nationale, et pour la langue régionale des caractères identiques et de mêmes dimensions. Rien n’empêche d’y ajouter en sous-titrage italique l’expression dialectale actuelle « Strossburi ».
Ce raisonnement peut être utilement appliqué aux plaques portant nos noms de rues, de lieux, de sites et de communes en reprenant les appellations qui figurent sous la forme standard au cadastre napoléonien et dans les registres et actes communaux. Vous en trouverez un bon exemple à l’Ecomusée d’Alsace.
Au demeurant la survie du dialecte comme langue de communication orale n'est pas garantie par son utilisation écrite dans la signalétique : en effet pour savoir lire le dialecte il faut savoir le parler. Un non-dialectophone, Alsacien ou autre, découvrant un nom de commune ou de rue libellé en dialecte, utilisera la prononciation française, ce qui ôtera tout sens au mot ; alors que la poésie, la chanson, le théâtre, oralisés par des dialectophones, font sens.
L'usage du seul dialecte sera interprété, d’une part, comme une négation de l’histoire rhénane et impériale deux fois millénaire de l’Alsace et, de l’autre, comme un enfermement et un repli régional frileux dans le seul cadre français. Tandis que l'emploi du nom historique "Strassburg" marque la continuité de la République libre d'Empire / Die Freie Reichsstadt Strassburg.
Ce sera une ouverture sur l’espace bien plus large de tous les pays de culture germanique.
C'est en associant et valorisant les deux formes de la langue régionale que Strasbourg/Strassburg ou Straßburg affirmera son attachement à sa double culture et en tirera profit pour rayonner dans l'espace rhénan et européen.
Vous trouverez aussi ci-joint deux exemples de publication bilingue comportant le nom de Strassburg/Straßburg pendant la période de notre histoire, la plus ultra-jacobine et la plus sanglante. Et d'autres documents historiques.
Nous souhaitons vous rencontrer personnellement courant septembre pour discuter de vive voix des éléments que nous avons évoqués dans ce courrier. Nous différons pour l'instant toute publication de cette lettre, espérant que vous aurez la volonté de redonner à Strasbourg un nom historique et légitime qui valorise notre capitale européenne et régionale.
La présidente, Monique MATTER
Un des documents remis
Exemple de ce que pourrait être une plaque bilingue d’entrée d’agglomération à Strasbourg
Débats au Conseil municipal de Strasbourg. Dernières Nouvelles d’Alsace 13.10.2015